En famille au Spiti, sur les hauteurs de l’Himalaya

Deux années d’Inde, où nous – Salem (2 ans), Nil (5 ans), Rina et Nick apprentis parents – vivons. Deux années dingues. Aujourd’hui nous partons, l’Himalaya à l’horizon. Switch : montagne contre plaine, saine fraicheur contre moite fournaise, les grands espaces déserts contre la ville saturée. On est très excités !

Un lointain voyage

Top départ / Faux départ

Nous quittons Chennai (ancienne Madras, l’aéroport le plus proche de notre lieu de résidence) pour Delhi (2 300 km, 3 h de vol). Nous trouvons l’aéroport entièrement rénové : il est doté d’un nouveau terminal pour les vols internes, immense hall vitré climatisé, bâti selon le modèle international et au détriment de tout bon sens écologique ! Nous nous installons et attendons devant l’un des grands panneaux d’affichage notre vol pour Delhi. Deux heures de retard nous ont déjà été annoncées par SMS et notre vol n’est toujours pas programmé… Il s'avère que le panneau d’affichage n’est là que pour le décor, il n’est pas connecté et donc pas… actualisé ! L’embarquement a eu lieu, l’avion s’est envolé… sans nous ! Nous prendrons le vol suivant… le lendemain ! « No problem », disent les indiens.

Infernale Delhi

En ce mois de mai la chaleur est accablante, elle atteint 50°C. Coincés dans les embouteillages, nous sommes surpris de voir les files de luxueuses voitures dont la majorité ne transporte qu’un unique passager. La prospérité, en regard du Sud du pays, contraste avec une misère choquante : de nombreux mendiants exhibent d’inimaginables maladies et handicaps, des hordes d’enfants sont sans abris, certains ne sont guère plus vieux que notre fils Salem. La pollution est atroce, les gaz nous brûlent le nez, nous suffoquons.

Rishikesh, aux portes de l’Himalaya

Nous prenons conscience que nous avons prévu un itinéraire trop long. Nous comptions nous rendre aux sources du Gange mais pour joindre le village le plus proche situé à 200 km, il faut compter plus de 12 h de bus dans des conditions difficiles. Finalement nous rejoindrons directement la haute vallée du Spiti, ce qui en prévoyant plusieurs haltes représentera près d’une semaine de route.

Randonnée à Neergarh waterfall

Bonheur de montagnes : marcher, respirer du bon air, se rafraîchir d’eau pure. Les enfants barbotent dans une piscine naturelle et balancent des cailloux soulevant des gerbes d’eau glacée.
Le chemin de la cascade est en passe d’être transformé en route. Parmi les travailleurs, de nombreux enfants n’ont guère plus de 12 ans et triment dans la poussière et les vapeurs de goudron sous un soleil de plomb. La route aménagée transformera ce bout de montagne en site touristique. L’Inde regorge de ce type de lieux naturels aménagés : les visiteurs y affluent, les boutiques y fleurissent, les bus bloquent la vue et les déchets de plastique jonchent le sol.

On the road

Nous poursuivons vers Dehradun où nous faisons une nuit d’étape, puis continuons en direction de Manali. Dans la même journée nous faisons 14 h 30 de petites routes tortueuses. Nil a le mal des transports, impossible de trouver un sac en plastique, l’état de l’Uttarakhand a réagi et a banni les « polybags », l’interdit est respecté. Nous achetons un petit seau que le bambin trimballe.
Nous gagnons l’état de l’Himachal Pradesh, magnifique piémont ; au loin se profilent les hautes montagnes de l’Himalaya. La végétation est luxuriante, dans le creux des vallées lianes et palmiers se mêlent aux grands arbres.
Partout des bâtiments sont en construction. La montagne est parsemée de cimenteries colossales dont la taille rivalise avec celle des monts ! Les cratères des carrières trouent la montagne. Le défilé des camions est continu. Nous passons la petite ville de Manali, station touristique réputée. Hôtels luxueux, rues commerçantes aux enseignes des marques internationales et foule effarante de touristes ! Sur les bas-côtés stationnent des files de bus de voyages organisés, sur la route minibus, taxis et véhicules privés avancent au pas.

Vashisht, une semaine d'arrêt sur le long trajet qui nous mènera au Spiti.

Le village de Vashisht offre une vue magnifique sur les montagnes. Nous jouissons de l’air pur, du ciel bleu, de la lumière cristalline, de la verdure et des torrents… Inspiration à pleins poumons !

Vue du village de Vashisht depuis notre chambre

Nous partons depuis le village pour de belles balades. Le joli sentier sillonne entre les terrasses des vergers de pommiers, abricotiers et pruniers. Les cerisiers sont en fruits. Nous pénétrons dans la forêt de pins et de sapins : ambiance feutrée, tapis d’épines, sérénité. Le torrent bondit en cascades. Le soleil printanier irise les gouttelettes glacées et illumine les cristaux des rochers. Que de beauté…
Des parterres d’iris sauvage s’épanouissent au bord du chemin forestier. Les églantiers sont couverts de roses. Exhalaisons suaves.
Nil gambade allègrement dans les montagnes et Salem admire le paysage depuis son sac de portage.
Pique-niques quotidiens ! Les enfants adoptent un chien pour la journée, il nous guide sur son territoire. Nous nous installons dans un verger de noyers dont le sol est tapissé de fraisiers des bois, les garçons picorent comme des fous de leurs petits doigts ! Dans les hautes herbes, le trèfle est en fleur et les noix vertes répandent leur parfum.
Les enfants s'amusent au bord de l’eau : Salem joue avec la bouillasse, Nil dit avoir passé l’âge ! Projet d'aîné : construire un barrage qui déviera le cours de l’eau. Les deux frères collectent de l’argile pour faire du modelage, Nil a changé d’avis. Maman écrit, papa photographie. Le son ronflant du torrent nous berce. Survol d'un vautour de l'Himalaya, cercle de mort, cercle de vie.

Fraises et coquins des bois

Pollution

L’agriculture locale est passée aux standards de la production industrielle : dans les vergers n’est plantée qu’une unique variété de pommiers, pulvérisés en cette saison de pesticides. Il y a une décennie des touristes venaient pêcher la truite, aujourd’hui il n’y a plus de poisson dans le torrent.
Notre chemin croise celui d’un groupe d’adolescents citadins du Gujarat, grassouillets et essoufflés, impotents de quinze ans…

Un terrier abandonné sert de poubelle.

Village passé, village présent, village changeant

A l’ancien minuscule village de Vashisht, son beau temple, ses quelques constructions reliques de pierre sèche et de bois, ses bains chauds aménagés, se sont ajoutées récemment de nombreuses constructions de béton servant à héberger, nourrir (restaurants et cafés de toutes sortes dont une boulangerie allemande et un restaurant coréen) et divertir (boutiques, services de guides et de loisirs organisés) les touristes.
La vie paysanne s’efface laissant place à l’activité marchande. Des villageoises ont revêtu leur habit traditionnel pour proposer des poses photos avec un lapin angora, elles forment l'arrière-plan tandis qu'un petit touriste ravi serre la grosse peluche peluche palpitante dans ses bras. Nous assistons à une scène : une famille indienne implore les dames de s’écarter de leur enfant allergique !
Quelques vieilles et vieux paysans, la peau tannée par le soleil, le regard plein d’étoiles, le sourire brillant, calmement demeurent. Ils charrient lentement leur hotte remplie de fourrage pour les bêtes.

On the road again !

Nous pensions rejoindre le Spiti par le Nord, via les cols du Rohtang La (3 978 m) et du Kunzum La (4 590 m). D’abondantes neiges les maintiennent fermés et nous imposent un changement d’itinéraire.

Haute route, the Hindustan-Tibet Highway

Trois jours de voiture par la vallée de la Sutlej et la région du Kinnaur nous conduiront au Spiti. La route, découpée à flanc de montagne, est impressionnante. Elle est à l’image de l’emprise que l’Homme exerce sur ces hauts lieux. Les cours d’eau sont détenus par de colossaux barrages, tel le « 1 000 megawatts » et son slogan scandé au long de la route « no dream too big ». Des villes entières ont été bâties pour loger les travailleurs des centrales recluses ; on y trouve école, hôpital, hauts immeubles pour les ouvriers et villas avec jardinets pour les cadres. Dans les hautes vallées agricoles, les enseignes des commerces indiquent « seeds and pesticides ». Des panneaux signalent l’arrêt de la circulation à horaires fixes, 3 fois par jour, pour le dynamitage de la roche. En bord de route des machines réduisent la pierre en gravier. Une cascade est exploitée en lave-auto !
La route nécessite un constant entretien. Les montagnes assaillies se rebellent, les glissements de terrain arrachent des pans d'aménagements, d’énormes rochers écrasent les engins de chantier, aplatis comme des crêpes ils sont abandonnés sur les bas-côtés. Chiquenaudes de la montagne. Des torrents d’eau dévalent la pente, suffiront-ils à laver la souillure qu’inflige l’Homme à son environnement ?
Nous sommes consternés par la condition des travailleurs des routes. Venus des états voisins, ils ont une quinzaine d’année, les jeunes femmes portent parfois un bébé sur leur dos, ils font ce travail dangereux sans aucun équipement, pas même une paire de bottes. Transis dans le vent cinglant, ils logent dans des campements à flanc de roche dont les cloisons noires sont les bidons de bitume que l'on a déroulés en tôles.
La région, frontalière de la Chine (souhaiterais-je dire du Tibet), est classée « restricted area ». Camps militaires et checkpoints ponctuent la route. Un permis de circuler est obligatoire pour les étrangers. Nous faisons halte à Rekhong Peo (2 500 m) pour la délivrance d'un « inner line permit ».
Cahots et chaos nous rendent malades. BUMP ! Nil vomit ! BUMP ! Barrage ! BUMP ! Centrale ! BUMP ! Salem vomit ! BUMP ! Vision d'un paysage époustouflant ! BUMP ! Nous évitons un accident ! BUMP ! Nous assistons à un accident ! BUMP ! Vision d'un ciel sublime ! BUMP ! Rina vomit. Saisie, secouée, scindée entre puissance destructrice et transcendance, mon cœur, mon estomac, balancent. Mais les habitants du Kinnaur ont belle et fière allure dans leur vêtement traditionnel. Nombreux sont les ateliers de tisserands filant la laine, de couturiers taillant sur mesure vestes et toques, de brodeurs et d’artisans bijoutiers. Hirsutes et sweat-shirt chiffonné, nous manquons d’élégance à leurs côtés !

En terre bouddhiste

La circulation s’interrompt. Un lama retiré dans les montagnes voisines, est descendu bénir la population, son cortège bloque la route et un rituel s’organise.
Nous nous arrêtons à Nako (3 600 m), sur les contreforts du Reo Purgyil (6 816 m), nous prenons de la hauteur ! Le village n’abrite que deux guesthouses et la vie paysanne y est conservée. Aux petites maisons sont accolés les enclos des animaux. Nil et Salem caressent les ânes, veaux et chèvres. De petites parcelles de culture sont irriguées par un réseau de canaux. Et tout autour, les montagnes et le ciel sont majestueux.
Nous nous rendons au monastère et y retrouvons le lama ermite ! Les chants des villageois l’accueillent, des jeunes filles parées lui servent le thé et font brûler des feuilles résineuses de cyprès. Au milieu de cette cérémonie, nous recevons la bénédiction du lama.

Bénédiction sur la route du lama Govind

Enfin le Spiti !

Royaume minéral et porte céleste, la rivière Spiti annonce l’entrée dans le territoire du même nom.
Nous passons une semaine à Tabo (3 280 m) : la route fut éprouvante, nous sommes heureux d’être arrivés ! La toute petite ville comporte une école primaire et son pensionnat logeant les enfants des villages isolés, ainsi qu’un dispensaire médical. Au Spiti, la densité de population n’est que de 2 habitants par km² contre 382 pour l’ensemble de l’Inde. Les possibilités d’hébergement sont néanmoins nombreuses et il y a même un hôtel de luxe sur la route principale, il est destiné aux quelques riches Indiens qui en une petite semaine atteignent les sommets de l’Himalaya depuis Delhi au volant de gros véhicules performants, puis… font demi-tour !
Le lieu est célèbre pour son monastère bouddhiste, construction de terre datant de l’an 996 dont l’intérieur est peint de magnifiques fresques. Le site attend d’être classé au patrimoine mondial par l’Unesco, ce qui permettra d’effectuer des travaux de restauration et assurera sa conservation. Le lieu est animé par les rituels quotidiens des cinquante moines y résidant. Le Dalaï Lama s’y rend à l’occasion de célébrations.
La vie monacale donne le ton. Les locaux égrainent d’une main un chapelet et tiennent de l’autre main un téléphone portable ! Nous apprécions leur attitude tranquille, sobre et amicale.

Monastère de Tabo et amoncellement de manis, pierres gravées de mantras

Along the Spiti river

Nous descendons marcher le long de la rivière Spiti. Nous traversons les champs entourant le village, jalonnés de réserves d'eau et de stupas, sillonés de sentiers et de canaux d'irrigation. Tabo a conservé deux cultures : celle du petit pois et de la pomme. Produits rares qui ne peuvent pousser dans la chaleur des plaines indiennes, on les appelle des « cash crops », leur commercialisation rapporte. Ici aussi engrais synthétiques et pesticides sont d’usage. Il n’y a que très peu de bétail, exception faite de quelques rares vaches. Dans ces lieux isolés, il ne subsiste plus d’agriculture vivrière. C’est un gros camion qui approvisionne le village en sacs de farine de blé (les « chapatis » ont remplacé la « tsampa » issue de la culture locale de l’orge), en briques de lait (par le passé on buvait le lait cru de yak), en plaques d’œufs de batteries et légumes de l’agriculture intensive. Les boîtes et les sachets colorés emplissent les rayons des épiceries. Nous mangeons toutefois avec délectation de petits brugnons, fruits des vergers locaux.
La rivière Spiti impassiblement rugit. L’eau alimentée par la fonte des neiges déferle à grands remous. Le vent s’engouffre dans la vallée. Le sable de la plage est noir et fin, quelques petits saules ramassés poussent resserrés en bosquets, leur feuillage d’un vert lumineux contraste avec le paysage minéral.
Nil qui a beaucoup souffert de la route, grimpe, gambade dans les éboulis, joue la chèvre des montagnes et bâtit avec les pierres son monde imaginaire.

Accueillis à la lamaserie

Notre voisin du moment s’appelle Hari, c’est un retraité originaire de Jaïpur qui passe chaque été au frais des montagnes (au même moment l’Inde subit une canicule meurtrière). Il a travaillé en Afrique de l’Ouest et vécu au Canada durant de nombreuses années, il parle couramment l’anglais ce qui n’est pas le cas des locaux et connaît bien le Spiti et sa culture. Nous lui confions vouloir consulter un devin. Il demande à l’un de ses amis du village de nous organiser une entrevue. Nous sommes reçus par le « head lama », le directeur du monastère, c’est une chance et un honneur. Assis à son bureau, sans parler, l’homme communique une énergie de paix et de simplicité. L’ambiance du monastère est sereine et fraternelle, la hiérarchie n’exprime pas de supériorité. Les lamas sont joyeux, dans la cour les enfants moines jouent avec les adultes, une partie de cricket s'est improvisée avec un tuyau en guise de batte !
Le « head lama » est tibétain, parle l’hindi mais très peu l’anglais. Nous avons un problème de traduction… Nous nous dépatouillons entre « english » et « bodish », la langue locale proche du tibétain. Nous parvenons néanmoins à lui poser nos questions (décisives…). Le lama précise, qu’oracle ou pas, c’est à nous qu’appartiendront nos décisions ! Il offre des sucreries à Nil et Salem. Nous passons un moment intime et agréable.
Nous avons apporté selon la coutume des « khataks » que nous lui tendons au moment de nous retirer. Déposant l'écharpe blanche sur nos nuques inclinées, il nous bénit. Nous sommes invités à revenir le lendemain matin pour recevoir l’augure du lama. Ce soir ce dernier méditera et utilisera des techniques divinatoires qui nous resteront inconnues. Le lendemain nous sommes étonnés de recevoir du lama un verdict tranché qui ma foi, se révèlera conforme à nos choix…

Gompa cachée, grotte à secret

Le petit monastère de Lari Cave n’est accessible qu’à pied. C’est aujourd’hui par la route traversant la vallée qu’hommes et marchandises circulent. Les chemins escarpés supportés par des murs de soutènement ne sont plus entretenus et s’effondrent. Deux sentiers mènent au monastère, celui que nous empruntons se termine par un à-pic, il a été arraché par un éboulis, nous rebroussons chemin après deux heures de grimpette !
Les montagnes sont d’une sensationnelle beauté, la subtilité des teintes et la variété des formations rocheuses sont infinies. Salem trouve sans cesse un « caillou beau » qu’il charge dans son sac de portage ! Luttant contre le vertige, j'affronte le précipice de ma peur sur les étroits sentiers friables et sous les violentes bourrasques. Nil s'est fait une écharpe d'un bout de drapeau de prière arraché par le vent.
Dans ce paysage minéral, poussent de toutes petites plantes aussi diverses que résistantes et adaptées, elles sont très odorantes et nous réjouissent de leurs effluves.
La petite lamaserie paraît abandonnée, plusieurs bâtiments sont effondrés et seul un vieux lama de 85 ans vit ici retiré. Trois dames sont à ses côtés, venues du village en contrebas, elles servent le vieil homme. Nous avons selon le conseil des locaux, amené des produits frais : des tomates et des bananes. On nous offre le chaï et des biscuits, des sourires et du bon accueil. Le petit papi nous fait visiter les lieux, la construction est accolée à une grotte où sont conservés de splendides objets de culte en argent et en cuivre.
Sur le trajet retour nous avons la chance de rencontrer des urials, mouflons de l’Himalaya, animaux célestes, ils broutent les parois verticales !
Nil est fatigué, une fois redescendus sur la route goudronnée, nous faisons du stop et une petite voiture citadine nous ramène à Tabo.

Le petit village de Lari en contrebas

Dhankar, hameau perché sur un piton rocheux

Nous remontons la vallée pour le village de Dhankar (3 894 m). Cet ancien fort perché sur un piton rocheux fut la capitale du Spiti.
La vue y est époustouflante, sommets glacés brillants et halos de lumière. Vue des hauteurs, la rivière Spiti déferlante d’eau de la fonte des neiges, est un immobile miroitement. L’altitude est grisante, sensation d’envol et de légèreté. Suis-je vraiment là les pieds sur terre ou bien ne suis-je qu’un courant d’air ? Le tambour de méditation des moines emplit de son rythme lancinant la vallée. Résonance bouddhiste, illusoire saisissement.

Randonnée au lac de Dashair et Dhankar, en amont du village

Au détour du chemin, nous recevons l’accueil sublime d’un groupe de chevaux. Le vert diaphane et le turquoise du lac, les étincelles de lumière sur la surface de l‘eau, les cercles d’or des touffes de genêts sur la rocaille, les ruisselets d’argent serpentant des sommets jusqu’au lac, la ronde des monts enneigés et partout le ciel bleu intense.
Le profond silence est percé parfois par un bourdonnement d’insecte, le chant d’un oiseau ou le hennissement d’un cheval. Nil et Salem ne le troubleront pas…

Autour du lac de Dashair a lieu une « pooja » des femmes, célébration rituelle consacrée à l'eau.

La vie du village

Le soir, les troupeaux de moutons et de chèvres descendent des estives et regagnent leurs petites bergeries. Il y a une grande diversité d'espèces ovines, nous contemplons avec ravissement leur défilé. Les villageoises se sont regroupées pour préparer des petits pains, elles nous en offrent, délices chauds et croquants !

Le plateau de Kibber

Nous prenons encore de la hauteur en logeant au village de Kibber situé à 4 270 m. Nous y séjournerons une semaine. Depuis ce plateau d’altitude sont possibles de nombreuses balades dans le « Kibber wildlife sanctuary », réserve célèbre pour abriter la panthère des neiges.
Au petit matin de notre première nuit, une neige exceptionnelle pour la saison, a recouvert les montagnes et les prés. Nil euphorique réveille notre chambrée ! Les enfants sont heureux de voir pour la première fois des yaks. Autrefois garants de l’économie des lieux (les caravaniers troquaient en plaine le sel de roche contre de la nourriture), leur élevage tend aujourd’hui à se perdre.
Nil se régale de collecter : pierres, ossements, sabot, fer à cheval, laine… Il se fabrique un sabre-mâchoire et un gourdin-fémur : « Je suis armé jusqu’aux dents !» Mais ce qui le stimule le plus c’est la recherche de fossiles. Il ramènera du fond des âges un coquillage.
Salem est malade. On ne l’entend plus dire que : « Veux faire un poti dodo »…

Au village… En voyage…

La journée, les femmes du village travaillent aux champs (de petits pois exclusivement), les enfants fréquentent l’école au-dessus de laquelle nous logeons, les vieux jouent aux cartes leurs tout-petits dans les pattes, les hommes sont partis faire du business. Et les différentes générations cohabitent dans de grandes maisons.
Quand rentre le soir le grand troupeau d’ânes, de moutons et de vaches, le village s’anime ! Les animaux ne reçoivent pas toujours le soin qu’ils mériteraient, les « bergers caillasse », comme les appelle Nil, ont pour technique de rabattage le jet de pierre.
Alors que j’observe le quotidien du village, l’esprit du voyage me séduit encore et toujours - le voyage qui ouvre à l’émerveillement, qui invite à apprécier l’unique vérité : celle de l’instant. En fleur…

Key monastery, monastère millénaire

Nous randonnons jusqu’au monastère de Key, le plus grand de la vallée du Spiti. Forteresse de sagesse, bâtie sur un éperon rocheux à 4 100 m. Deux cent cinquante enfants y vivent et étudient la philosophie bouddhiste durant le long hiver. Ils rejoignent en été leurs familles qu’ils aident durant la saison agricole.

Shorten de Kibber et monastère de Key

Kaza, ville principale du Spiti

L’état de santé de Salem ne fait qu’empirer : diarrhée, vomissements, perte de poids et d’appétit, aujourd’hui une éruption de petits boutons. Il est temps de consulter un docteur ! Nous quittons Kibber pour nous rendre à Kaza, la capitale administrative du Spiti, où nous bénéficions d’une téléconsultation via le réseau « Apollo hospital ». Nous sommes mis en relation avec un généraliste de Chennaï (qui se situe à 160 km de notre lieu actuel de résidence en Inde et à 3 100 km de Kaza), puis avec un pédiatre d’Hyderabad. Le premier médecin diagnostique une rougeole, le second une fièvre virale, une liste phénoménale de médicaments et d’analyses (irréalisables ici) nous est prescrite. L’infirmière du dispensaire pense quant à elle qu’il s’agit de « chicken pox ».
Rina, inquiète, demande à Nick :
— « C’est la grippe aviaire ? »
Nick sort, la main tremblante, son smartphone de sa poche :
— « Non, c’est la varicelle ! »
Soulagement des parents…
La grippe aviaire… C’est bien la peine de tenter de se couper de la propagande journalistique !
Nous décidons de prendre en main la rémission de Salem. Notre petit convalescent reste alité avec maman. Notre mission est de le dorloter et de lui trouver de la nourriture qui lui fasse envie. Après trois jours amorphes, Salem se transforme en malade tyrannique et fait de phénoménales crises ! Il va mieux !!!
La petite ville de Kaza est peuplée de 3 000 habitants. Les commerces et commodités y sont nombreux et le lit de la rivière fait office de décharge géante. Commentaire de Nil : « les hommes se facilitent la vie et en même temps ils détruisent la vie ». Les enfants, une invite à l’étonnement.

Retour

Shimla

Un mois après les cols sont toujours fermés, ceux qui attendent un revenu du tourisme piaffent. Nous nous en retournons via Shimla où après deux jours de route, nous marquons une halte. Ville de montagne effroyable, saturée de constructions, de véhicules et de nuées de touristes indiens, nous ne nous attarderons pas à Shimla. Nous n’avons pas réservé d’hôtel et les rares chambres restantes sont aussi onéreuses que crasseuses. Nous repartons dès le lendemain matin.

Chandigarh

Nous nous reposons 3 jours à Chandigarh, ville pensée et dessinée par l’architecte Le Corbusier. Le plan en damier est traversé de larges voies bordées de grands trottoirs. La circulation est fluide, un exemple unique en Inde où circuler en tant que piéton ou qu’automobiliste est un danger de mort de chaque instant !
Le long de chaque artère furent plantées des doubles rangées d’arbres, ceux-ci ont comme la ville 60 ans et sont énormes. Ils font aujourd’hui de Chandigarh l’une des villes les plus boisées d’Inde. C’est aussi la ville indienne la plus propre que nous ayons vue.
Mais Chandigarh est, à bien des points de vue, peu représentative de l’Inde : la richesse matérielle, les boutiques de luxe, les voitures fastueuses, nous laissent songeurs.

Fast forward, last rewind

De Delhi tout s'accélère : 3 heures de vol puis 3 heures de voiture, 2 400 km, abracadabra, en 6 heures chez nous nous revoilà ! et l’enchantement durera…

Caillou cœur en souvenir du Spiti, mai-juin 2015